(note : dans le texte qui suit, le terme « otherkin » est synonyme de « personne à identité non-humaine » qu’elle soit trans-espèce, therian, were, système, ou toute autre étiquette qu’il soit possible d’imaginer)
J’ai regardé le film Total Recall il y a pas longtemps, puis j’ai beaucoup réfléchi au sujet de l’importance – ou pas – de la mémoire dans l’identité non-humaine.
J’ai ainsi identifié trois cas de figure dans lesquels je pense il est possible de « classer » la plupart des individus à identité non-humaine : ceux qui n’ont pas de souvenirs de vie.s antérieure.s, ce qui en ont très peu, et ceux qui en ont à la pelle. Et il se trouve que la quantité de souvenirs d’un.e non-humain.e est en corrélation presque parfaite avec sa manière de se vivre otherkin.
Ceux qui n’ont pas de souvenirs de vie.s antérieure.s pour commencer, se vivent toujours de manière psychologique. Pour eux l’identité non-humaine provient de leur vie actuelle et a été forgée par celle-ci. Ce sont les souvenirs humains de leur vie humaine qui expliquent leur identité, par le proxy de modifications du fonctionnement cérébral. Dans ce lot nous allons trouver des gens souffrant de TOCs, de stress post-traumatisme, d’Asperger, de phobies, dysphorie du genre, et autres troubles du comportement et de l’humeur (bon on en trouve dans les autres groupes mais celui-ci est à ma connaissance constitué à 100% de personnes souffrant d’un trouble clinique). Pour ces personnes, l’identité non-humaine est une façon constructive d’expliquer leurs particularités ou de les relier entre elles, tout en offrant une porte ouverte pour pouvoir les vivre de manière non-traumatique. En effet il est constructif pour la psyché de se dire « j’ai peur des espaces ouverts ; je m’identifie à une créature vivant dans un terrier ; je vais donc me créer un « terrier portatif » pour m’y réfugier en cas de problème et réussir à affronter les espaces ouverts ». Alors que de se dire « j’ai peur des espaces ouverts ; j’ai une phobie ; je suis malade mentalement » est une manière de voir les choses plutôt dé-constructive et dégradante.
Pour ceux qui vivent leur non-humanité de manière 100% psychologique, il n’y a pas besoin d’avoir des souvenirs de vie.s antérieure.s pour expliquer ou justifier ou renforcer ou maintenir l’identité non-humaine car elle fait partie de leur vie humaine, elle est la conséquence de leurs souvenirs humains. En fait nous pouvons presque dire que pour ces otherkins 100% psychologiques, l’identité est un assemblage de corps et de mental : le corps étant humain, l’identité est nécessairement partiellement humaine, et la formulation finale est « je suis un être humain s’identifiant à X ; je suis une personne-X ».
A l’autre extrême nous trouvons des otherkins 100% spirituels avec beaucoup de souvenirs de vie.s antérieure.s – parfois assez pour remplir des années de journaux intimes sans se répéter. Pour eux, la mémoire est nécessaire à la construction et au maintien de l’identité non-humaine tout comme elle est nécessaire à la construction et au maintien de la part humaine de leur identité (celle avec laquelle ils.elles vont interagir avec le monde). Pour ces personnes, leur identité est strictement mentale ou plutôt *spirituelle*, car ils.elles expliquent ces souvenirs par une ou des vie.s antérieure.s et le principe de réincarnation. C’est une manière particulière de compartimenter l’identité otherkin (identité mentale / spirituelle) par rapport à l’identité humaine (masque de chair).
Beaucoup diront que ces otherkins 100% spirituels avec des charrettes pleines de souvenirs non-humains, sont victimes du phénomène de « faux souvenirs ». Ce mécanisme est typiquement humain et il sert par exemple à remplir les « trous » de souvenirs réels afin de leur maintenir une cohérence. Ainsi des rêves, des histoires, des peurs, peuvent à force de remobilisation et d’oubli, se retrouver mélangés à la ligne temporelle vécue par le corps, afin de former une cohérence narrative. Mais les otherkins ont la particularité de n’avoir pas une ligne narrative, mais deux ou plus : une pour la vie humaine, et une ou plusieurs pour la ou les vie.s antérieure.s non-humaine.s. Chacune de ces lignes narratives va avoir sa propre cohérence, sa propre logique, et un rôle complémentaire dans la construction et le maintien de l’identité.
Pour ce groupe d’otherkins, les souvenirs non-humains sont très importants. La perte du moindre d’entre eux va chambouler entièrement l’identité non-humaine et va pouvoir potentiellement entraîner des catastrophes psychologiques dans la vie humaine, physique, actuelle. Il est donc nécessaire et presque vital de conserver des traces écrites de tous ces souvenirs otherkins. Car, peu importe qu’ils soient une construction de l’esprit à partir de peurs, rêves, fantasmes et autres archétypes jungiens, ou bien de vrais souvenirs authentiquement hérités de vie.s antérieure.s. Ils sont, quel que soit leur processus de construction, nécessaires à la construction et au maintien de l’identité personnelle, tout autant voire même plus, que les souvenirs humains.
Car la particularité d’un.e otherkin est que l’identité étant principalement voire entièrement non-humaine, ce sont tous les souvenirs, tous les sentiments, toutes les impressions non-humain.e.s qui vont être les plus importants pour le maintien de l’identité. Les souvenirs humains sont certes importants pour rester fonctionnel.le dans la société humaine, mais d’un point de vue psychologique, c’est la partie non-humaine de la psyché qui est la plus importante. Le maintien de la cohérence de cette identité non-humaine est vital pour le bien-être psychologique et toutes les méthodes seront bonnes à prendre pour les otherkins afin de maintenir cette cohérence et de renforcer ou d’augmenter les souvenirs non-humains, réels ou construits. Ainsi les otherkins spirituels vont beaucoup pratiquer les différentes techniques d’états modifiés de la conscience afin d’explorer et de « (re)découvrir » la mémoire « perdue ».
Il est donc extrêmement important pour le bien-être psychologique de ces personnes, que vous ne remettiez pas en doute la véracité de ces souvenirs. Traitez ces données comme de vrais souvenirs, n’hésitez pas à poser des questions sur cette ou ces ligne.s narrative.s comme vous poseriez des questions sur la ligne narrative de la vie humaine. Même si la personne vous dit « je suis humain.e à présent et je dois vivre comme tel.le » surtout ne lui dites jamais que ces souvenirs sont faux ou pire, imaginés. Car ils sont tout aussi vitaux pour l’identité et le bien-être psychologique, que les souvenirs humains.
Au milieu entre les deux, il y a les plus instables psychologiquement : ceux qui se sentent otherkin spirituellement, ou psychologiquement, ils ne sont pas forcément très sûrs mais le plus souvent c’est spirituel, et puis certains jours ils ne se sentent pas otherkin… Parce qu’ils n’ont pas de souvenirs ou presque. Par « instable psychologiquement » je veux dire que comme ils n’ont pas ou très peu de souvenirs d’existence.s non-humaine.s, leur identité personnelle est très fragile. Ce sont des personnes très mal dans leur peau que vous allez, si vous remettez en doute leur identité non-humaine, ou simplement si vous essayez de leur expliquer « pour leur bien » que « c’est juste psychologique », précipiter dans des abysses de désespoir. Car leur mémoire humaine, leur vie humaine, n’est pour eux qu’un passage – mais ils n’ont aucune ligne narrative forte et cohérente pour s’y accrocher en lieu et place de leur ligne narrative humaine ! Leur identité, qui est bien évidemment non-humaine, repose sur des bases très fragiles que le moindre doute va renverser.
Ces personnes, je les encourage vivement à tenir un journal de leurs ressentis non-humains, de tous ces petits détails qui font que l’identité humaine « cloche » pour eux, et de construire autour une ligne narrative. De reconstruire leur.s vie.s antérieure.s non-humaine autour du moindre petit indice, quitte à corriger le tir au fur et à mesure que d’autres indices s’ajoutent. Tout en conservant bien sûr trace des premières conclusions.
Un autre conseil que je leur donnerais serait de s’exprimer extensivement par l’art. En effet, l’art, quel qu’il soit, est une manière d’accéder à des souvenirs et des impressions enfoui.e.s en soi qu’on ne peut pas exprimer par des mots. Une manière de (re)construire sa.ses ligne.s narrative.s non-humaine.s et d’en garder trace. Une manière également de s’en entourer au quotidien, en éparpillant ces expressions artistiques autour de son lieu de vie. De s’entourer de rappels de son identité, c’est-à-dire, d’autant de bouées de sauvetage psychologiques (ou spirituelles) en cas de pépin, crise de doute, panique mentale. Après tout, tout le monde s’entoure de « souvenirs » de sa vie, pourquoi pas vous ? Au lieu de mettre sur votre bureau la photo des dernières vacances, utilisez un petit quelque chose vous rappelant qui vous êtres vraiment.
N’ayez pas peur de vous y accrocher. C’est bon pour votre bien-être mental.
L’identité est un processus en construction permanente, qui se base énormément sur la mémoire. Il est nécessaire de respecter les otherkins possédant un ou plusieurs narratif.s non-humain.s car ces souvenirs, qu’ils soient vrais ou faux, sont tout aussi vitaux pour le maintien de l’identité personnelle que les souvenirs que les humain.e.s ont de leur propre vie (là encore, qu’ils soient vrais ou faux…). Toutes les actions non-nocives pour la santé qui permettent de découvrir, de construire, reconstruire ou se rappeler des éléments de cette ligne narrative non-humaine, sont bonnes à prendre car très positives pour le bien-être mental et l’équilibre psychologique. Alors, à vos carnets, journaux, blogs, pinceaux, tablettes graphiques et tout ce que vous voulez. C’est bon pour vous.